mercredi 6 janvier 2016

Tout a commencé il y a 40 ans...

On dit que le Cambodge est le pays du sourire, et c'est véritablement vrai, malgré une histoire chaotique, encore récente dans les mémoires. Certains n'auront pas le force de passer à Phnom Penh durant leur séjour, et préférons les temples de la cité d'Angkor,  les marchés flottants sur le lac Tonlé Sap ou encore les magnifiques îles comme Kho Rong. Pour nous, le devoir de mémoire était important, surtout dans la conjoncture actuelle, où la haine et les idéologies sont plus fortes que l'humanité. On vous raconte l'horreur des khmers rouges, le mal nommé "Kampuchéa démocratique".
Âmes sensibles s'abstenir...

Tout à commencé il y a 40 ans, le 17 avril 1975, quand un dénommé Saloth Sâr plus connu sous le nom de Pol Pot s'empare de force du pouvoir et fait tomber la capitale aux mains des khmers rouges, le parti communiste extrémiste radical, alors que le pays est en pleine guerre civile. A partir de ce moment là, Phnom Penh est vidée de ses 2 millions d'habitants en 2j. Tous sont "invités" a quitter les lieux pour du travail forcé, 12 à 14h/j dans les campagnes, dans des conditions extrêmes. Là commence une politique de la terreur, les khmers rouges s'acharnent sur toutes personnes qui semblent être intellectuels, cadres, ministres, dirigeants, etc... à savoir aussi tout ceux qui savent lire, écrire, qui portent des lunettes ou qui ont juste les mains propres! Hommes, femmes, enfants, bébés, des familles complètes ont vécu le pire des sorts qu'un être humain puisse connaître.

Des prisons d'État font leur apparition dans tout le pays, 190 au total, dont la plus connue reste le centre S-21 à Phnom Penh. Ce centre de détention voit passer, entre 1975 et 1979, plus de 20 000 détenus, dont beaucoup d'enfants. Les personnes internées seront ensuite emmenées à des terrains d'exécution, dont le plus connu est CHOEUNG EK à 17 kms au sud ouest de Phnom Penh.

TUOL SLENG
Bienvenue à TUOL SLENG ou le "musée" du crime génocidaire S-21, en plein cœur de la capitale. Vous devinez l'ambiance qui y règne. Des hommes, des femmes, des étudiants déambulent le visage crispé dans l'ancien lycée Tuol Svay Prey, qui était la prison de haute sécurité 21, ou S-21. C'était le plus grand centre de détention et de torture. Ici toutes les horreurs perpétrés sont mises au grand jour, un témoignage bouleversant des atrocités commises par les Khmers rouges.



Le site est composé des bâtiments A (les interrogatoires), B, C et D (les cellules). Les tortures commencent par l'interrogatoire à l'extérieur, à l'intersection des bâtiments A et B. Les prisonniers sont maintenus par les pieds à une potence pendant des heures, puis plonger la tête dans des jarres d'eau putride. Les interrogatoires se poursuivent en salle sur des sommiers en fer rouillé, pour y pratiquer d'atroces tortures : ablation des mamelons, des phalanges, des doigts, de membres complets, électrocutions, ingestion d'excréments etc... Tout détenu envoyé à TUOL SLENG devait avouer son crime. Les tortionnaires attendaient la confession de crimes pour les cadres du régime. Pour les autres, étudiants, intellectuels, commerçants, il fallait avouer, mais avouer quoi, quel crime, quand on a rien fait de mal, à part aller à l'école pour étudier ou travailler pour gagner sa vie; alors il fallait inventer un crime imaginaire. Les tortionnaires donnaient même aux détenus des idées d'aveu en lien avec la CIA, le système capitaliste ou impérialiste. Les bourreaux étaient eux même victimes, c'était accepter d'être tortionnaire ou mourir.


Chaque prisonnier qui arrivait au S-21 était numéroté, photographié, parfois même après une séance de torture. Plusieurs salles du RDC sont tapissées de photos en noir et blanc d'hommes, de femmes, d'enfants, tous exécutés par la suite. Sont exposées également les papiers de plusieurs étrangers, Français, Australiens et Américains, détenus au S-21 avant d'être assassinés. L'occident savait... 

Les photos sont dures, chaque pas est une douleur, des larmes coulent sur les visages. L'horreur est partout, des flaques de sang indélébile sont encore sur le carrelage, des griffes d'ongles sur les murs. Il n'y a pas de mots pour définir comment notre corps réagit. TUOL SLENG, c'est 100 victimes par jour, noté scrupuleusement dans un cahier.

Les bâtiments B, C et D sont des cellules individuelles de 1m50 de long sur 80cm de large, même pas de quoi tenir allongé, il était interdit de dormir. Les cellules communes étaient pour 50 personnes alignées en rang d'oignon. Les pieds étaient attachés à de longues tiges de fer par des anneaux en fonte. Les Khmers rouges ont fait communiqué les salles de classes entre elles pour une meilleure surveillance. Des barbelés étaient installés partout autour des murs de l'enceinte du lycée, à chaque étage aussi, pour ne pas que les prisonniers se suicident. Chaque soir, c'était  l'inspection, certains se suicideront avec des stylos plantés dans la gorge ou des clous avalés.




A la libération de Phnom Penh par les vietnamiens en 1979, seuls 7 prisonniers sont vivants. Ils survécurent car ils étaient peintres, sculpteurs, photographes, sténodactylo et qu'ils pouvaient retranscrire les archives du S-21. Les Vietnamiens ont retrouvé également 14 morts qui venaient d'êtres torturés dans le bâtiment A. Ils sont enterrés dans le jardin du lycée autour d'un mémorial.




La salle des projections vidéos est fermée, et c'est pas plus mal, j'ai du mal a imaginé les films qui peuvent y passer. La dernière salle est consacrée aux restes des victimes de TUOL SLENG, une urne dans laquelle on voit les vêtements des prisonniers, des ossements, des crânes calibrés des victimes sont exposés dans une bibliothèque...

Vous l'aurez compris, la visite du TUOL SLENG est très éprouvante, on sort de là transformé, mais à notre humble avis, c'est un devoir de mémoire que de faire ce passage ici. 
La visite se termine par la rencontre de Mr Bou Meng, un des 3 derniers survivants des 7 sortis de TUOL SLENG et auteur d'un petit livre qu'il vend lui même, dans lequel il réclame justice pour le futur et non pour les victimes uniquement! Il a bien sûr témoigné au procès de Douch, l'ancien directeur de la prison S21, en 2009. Il doit sa survie aux diverses réalisations, sur ordre, de tableaux de propagande représentant Pol Pot.

Chaque jour, il est là, à 73 ans, il revient sur les lieux du crime, pour témoigner de l'atrocité de ses 4 années de calvaire. Il exhibe ses blessures, les arrachages d'ongles de pieds, raconte les tabassages, sourit à la vie qui lui a été permise de conserver...

CHOEUNG EK
Pour compléter cette visite, nous décidons d'aller le lendemain à CHOEUNG EK, à 17 kms au sud ouest de Phnom Penh, connu aussi sous le nom de Killing Fields, les champs de la mort. La visite dure 3 à 4h, si comme nous, vous écoutez l'audio guide entièrement. Les Khmers rouges ont exécuté ici dans cet ancien cimetière chinois plus de 17 000 personnes. Les fouilles ont depuis permis d'exhumer 8 985 ossements dans 80 fosses communes ( sur 129 découvertes ).




Arriver à CHOEUNG EK, c'était signer son arrêt de mort. Toutes les nuits, des hauts parleurs diffusaient des chants des partisans, pendant les exécutions pour couvrir les cris des détenus. Les prisonniers étaient tués à la machette, au marteau, n'importe quel objet contendant faisait l'affaire. Les balles étaient précieuses. Les bébés étaient éclatés contre les arbres et les gorges tranchés sur les branches des arbres de palmiers puis balancés dans la fosse commune. Les témoignages sont poignants, on imagine le calvaire jusqu'à l'horreur des mises à mort. En mémoire aux victimes du génocide, la visite se termine par un ossuaire à 7 étages dans un mausolée d'architecture typiquement Khmer, sur un fond de musique classique écrit pour les victimes du génocides.




TU VIVRAS, MON FILS
Plusieurs semaines après, j'ai réussi à me plonger dans le livre de Pin Yathay, "tu vivras, mon fils". J'avais eu ma dose, je pensais en savoir déjà beaucoup. Mais ce livre abordait une nouvelle facette de l'histoire. C'est le récit hallucinant de l'évacuation d'une famille complète de 18 personnes de Phnom Penh, vers la déportation dans les camps de travail, terrassée par la peur et la faim au ventre. Les "nouveaux" ( en entend par là, les anciens bourgeois et intellectuels ) connaîtront la voie de la "purification" et de la "rééducation" dans l'univers  de "l'Angkar", le régime révolutionnaire des khmers rouges : un vrai lavage de cerveau permanent. Un livre poignant d'un rescapé de l'enfer Cambodgien qui a vu sa famille décimée, puis qui à décider de fuir à travers les montagnes, pour rejoindre à pieds la Thaïlande, pour vivre! 

Autre histoire, celle du père de mon beau frère, qui a été enrôlé malgré lui dans le Kampuchéa démocratique et qui a fuit lui aussi dans la forêt un soir pour rejoindre la Thaïlande en 1975 pour ne pas devenir un boucher de l'histoire.
  
Pourquoi je suis allée aussi loin dans mes lectures et dans ma réflexion, certainement pour répondre à la simple question qu'est ce qu'un réfugié politique? C'est avant tout un être humain, est ce que cela ne suffit pas pour lui tendre la main?

On ne vous a pas vendu du rêve dans cette article, on le sait. Pourtant, nous espérons vous avoir sensibilisé sur les horreurs que l'homme est encore capable de faire à son semblable, à son propre peuple. Le Cambodge n'est pas un cas isolé, de violence organisée et de crime contre l'humanité. On dit que l'histoire est le miroir de l'avenir... D'autres génocides après celui ci ont eu lieu ( RWANDA 1994, MYANAMAR 2012 ), un autre est en marche, la Syrie, tout le monde sait, tout le monde en parle, mais personne ne bouge, que fait l'ONU, pourquoi faut il revivre l'histoire? 

Tout le monde ne viendra pas à Phnom Penh dans sa vie, c'est pourquoi il fallait que vous sachiez, on ne pouvait pas faire l'impasse sur le sujet. Vous l'aurez compris, on sort à jamais changé de son passage à PHNOM PENH...

ℹ️ TUOL SLENG : prix d'entrée 3$, gratuit pour les étudiants.
ℹ️ CHOEUNG EK : prix d'entrée 6$, audio guide inclus. 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire